Qu'un grand Dircom sorte un livre sur son expérience, c'est assez rare pour attirer l'attention. Raison de plus quand il s'agit de Hugues Le Bret qui a été Dircom de la Société Générale, notamment lors des grandes batailles avec BNP, lors de l'affaire Kerviel puis lors de la dernière grande crise financière !
Le livre de Hugues Le Bret - "La semaine où Jérôme Kerviel a failli faire sauter le système financier mondial" chez Les Arènes - est passionnant : il se lie d'une seule traite ! En plus, il est un document exceptionnel pour tous ceux qui peuvent avoir un jour à gérer une situation de crise : une étude de cas "in vivo" incontournable, même pour ceux qui ne sont pas dans la finance ! Et, à juste titre, il a attendu que la justice se soit prononcée pour sortir son livre même si, en bon communicant, il a choisi de le sortir ce jour là !
Et peu importe si, de temps en temps, l'auteur se laisse un peu emporter à raconter "les choses telles qu'il les a vécues" même s'il raconte des scènes qu'il a seulement "imaginées" : comme cet échange téléphonique qu'il eut avec son président enfermé dans sa chambre d'hôtel où Le Bret en décrit tous les détails, y compris la cravate jetée sur le fauteuil... Du coup, on se demande parfois si tout le reste est exact ou si, là aussi, il "projette"...
Peu importe aussi si, manifestement, Le Bret avait une énorme admiration personnelle pour son Président ; cela ne l' empêche pas de relater ses moments de faiblesse extrême et ses "dérapages" ou de faire état de la remarque du prédécesseur de Bouton, Marc Viénot, sur les gourmandises salariales de celui-ci : " vraiment, je suis furieux, Daniel exagère... Vous comprenez, il gagne en euros ce que je gagnais en francs dix ans auparavant !"
Peu importe enfin que Le Bret se donne à plusieurs reprises le beau rôle et s'en félicite : c'est, dans son récit, lui qui a conseillé à Bouton de ne pas prévenir immédiatement l'Elysée (qui ne l'a jamais pardonné à Bouton) et Mme Lagarde ; c'est lui qui, à deux reprises, a conseillé à Daniel Bouton de tenir bond puis, par la suite, de quitter la présidence ! Après tout, cela fait effectivement partie du rôle d'un Dircom de haut niveau.
Clairement aussi, Le Bret, en ancien journaliste qu'il est , avait envie de "se lâcher" et de dire ce qu'il avait sur le coeur et il ne s'en cache pas ; ainsi, la dernière phrase de son épilogue est claire : "les cygnes noirs n'ont pas fini de nous surprendre". Dès lors, il "balance" : les troubles agissements "parisiens" de Claude Bebear , de Michel Pébereau ou de "la bande à Calzaroni" autour de l'agence DGM (avec ses amis Longuet, Bolloré & co),la rancune implacable de Nicolas Sarkozy, la "trahison" d'Elkabach ou le "lâchage", en interne , de Philippe Citerne, à l'époque numéro 2 de la banque. Après tout, Le Bret peut sans doute se le permettre ...; après avoir de nombreuses années occupé un poste élevé dans le groupe, il a été promu à la présidence de la filiale Boursorama, le numéro un de la banque en ligne ; et il vient de la quitter, manifestement en accord avec son actionnaire... pour retrouver sa liberté de parole !
Malgré tout cela, je ressens un double malaise :
- pas un mot ou pas une interrogation , ou vraiment peu, sur le rôle du "système" dans ce qui s'est passé...Certes, la justice vient effectivement de considérer Kerviel comme un "escroc" comme la communication de la banque l'a développé à répétition ; mais il ne pose à aucun moment la question du rôle d'une banque qui a choisi pour stratégie - et la stratégie est bien du ressort du président - de faire reposer une très large part de ses activités et de ses résultats sur des activités qui n'ont pas grand'chose à voir avec sa mission de financement de l'économie; pas une interrogation sur les mécanismes de rémunération qui pouvaient pousser des traders à "faire toujours plus" etc .
- le Dircom d'une grande entreprise , quelle que soit son activité, ne peut jouer son rôle stratégique que s'il a la confiance totale de ses dirigeants et, manifestement, Hugues Le Bret l'avait. Est-ce alors le rôle d'un Dircom - ou, de même, si l'auteur était un consultant d'agence - de venir raconter dans le détail les faiblesses et dissensions internes auxquelles il a assisté ? Que vont penser tous les autres patrons quant à la confiance qu'ils peuvent accorder à leur Dircom ou à leurs agences ? Dans cette perspective, Hugues Le Bret rend-t-il un bon service à la communication dont, simultanément, il incarne le rôle majeur et un remarquable professionnalisme ?
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