Le weblog de Philippe Heymann

AVEC "THE CONVERSATION", LES MEDIAS PERDENT ENCORE UN PEU PLUS LEUR RÔLE D'ANALYSE !

On va bientôt avoir en France, une version française de "The Conversation", un site qui propose des analyses sur l'actualité à partir de contributions d'universitaires.  C'est une bonne initiative mais très caractéristique de notre époque...

Certes, ce sont déjà souvent des "économistes" qui interviennent, notamment en radio et TV, pour commenter l'économie ou des généraux en retraite pour les terrains de conflits etc . Et les tribunes d'experts et universitaires ne manquent pas.Qui plus est, l' info "en temps réel"  étant maintenant la priorité presque partout, on a de moins en moins de recul et d'analyse . Heureusement, cette initiative va être pilotée par deux très bons journalistes : Didier Pourquery, ancien directeur adjoint de la rédaction du Monde, et Fabrice Rousselot, ex directeur de la rédaction de Libération.

Mais ... ce n'est pas tout à fait la même chose quand-même ... Car les universitaires n'ont pas tous  ( il y a des exceptions !) le sens du "terrain"  et des "acteurs"  comme des journalistes. Et cela compte aussi beaucoup dans une bonne analyse. Le risque est donc bien que l'analyse devienne en effet très "universitaire"....même si leur point de vue est indispensable.

Pour les professionnels de la com. et des RP, cela ne fait que confirmer le rôle croissant des "influenceurs"...

 

LA JUSTICE A PLUS D'HUMOUR QUE...BOLLORÉ !

Jusqu'où  et jusqu'à quand Catherine et Liliane du Petit Journal de Canal+ vont-elles tenir en "chatouillant" systématiquement leur nouveau patron ?  Le sens de l'humour n'a pas l'air d'être  la plus grande qualité de Bolloré.  Hier dans Libé, Daniel Schneidermann  constatait à juste titre que Catherine et Liliane vont être un excellent test... en attendant, peut-être..., le retour des Guignols ! Car, pour l'instant, le dit "grand journal", sans ses multiples "pastilles" humoristiques,  fait nettement "rétréci "  et pas seulement dans sa durée...!

 Curieuse coïncidence, la justice vient de débouter Nadine Morano qui attaquait Guy Bedos pour l'avoir, dans un de ses "numéros", traitée de "conne"... Voilà donc la justice française qui comprend nettement mieux l'humour que le nouveau patron de Canal+ , chaîne  qui avait pourtant  fait de l'insolence et de la liberté de ton l'une de ses  caractéristiques  ! A vouloir mettre la chaîne au service d'un ensemble plus vaste , il risque fort de "casser son nouveau joujou" comme dit Libé aujourd'hui.

A suivre et, surtout, ... croisons les doigts pour que Catherine et Liliane tiennent le coup .

A PROPOS DES "GUIGNOLS", L'ANOMALIE BOLLORÉ/CANAL+/HAVAS SE POURSUIT....

L'affaire des guignols de l'info, même si elle se tasse un peu, remet d'actualité la profonde  anomalie bien française de la situation....

Passons pour l'instant sur le fait qu'un patron de media puisse être à ce point lié aux activités de l'Etat, notamment par ses énormes intérêts en Afrique. Il n'est pas le seul ( cf Dassault, Lagardère, Bouygues etc); certains prétendent que, sans cela, personne en France  n'aurait les moyens de capitaliser nos media et que ceux-ci seraient tous entre des mains ... "étrangères"  ( voir aussi le récent rachat du Parisien par LVMH/Arnaud...)!

Ici, le problème est différent : sauf erreur de ma part, aucun autre pays  démocratique n'accepte que le même homme ou le même groupe soit à la fois patron de media ( en l'occurence Canal+ par Vivendi mais aussi 20 minutes etc) et patron d'un groupe de publicité  de premier plan incluant tant plusieurs agences de pub ou com (de qualité) que des agences d'achat d'espace qui ont toutes, dans leur fonction, de conseiller leurs clients sur les bons media dans lesquels investir.... Si, en plus, ce patron (et, disent-ils eux-mêmes , le conseil d'administration de Vivendi !) se mêlent en plus de décider sur les programmes ....

Et, face à cette situation dont j'ai déjà parlé, pas un mot nulle part, ni du côté des politiques, ni côté media ni ... nulle part ailleurs. Vive le système à la française !

AUX GRANDS PRIX DE "STRATEGIES", LA LICRA...CHERCHE "DIFFICILEMENT" SON DISCOURS !

Stratégies et ses partenaires remettaient jeudi soir les Grands Prix de la Publicité (Ubisoft), des annonceurs (Meetic) et des Stratégies Media ( Milka). Et ,au milieu de tout ce beau monde de la publicité, était longuement ( et même un peu trop !) présente la LICRA (Lutte contre le racisme)...  Car TF1 ( au travers de ... Laurent Solly), Stratégies et la LICRA avaient fait travailler 8 tandems créatifs sur une campagne pour la LICRA et la  campagne gagnante  sortira à la rentrée. Son président a utilement fait remarquer que  ce travail lui avait énormément apporté car son association en était restée à un discours ( et des modes de communication) plus que traditionnels pendant que ses "adversaires" envahissaient de nouveaux territoires à commencer par les réseaux sociaux.

Mais tout cela m'a laissé plus que perplexe pour plusieurs raisons :

- cette présence inhabituelle au milieu du monde de la pub et aux côtés de TF1 avait un arrière goût de bonne conscience, du genre "qu'est-ce qu'on pourrait bien faire pour se montrer bon citoyen dans le contexte actuel?"...

- le président de la LICRA a rappelé que sa mission était de "lutter contre le racisme et contre l'anti-sémitisme et de promouvoir la laïcité". J'ai plein de raisons de m'en féliciter mais bizarre quand-même que, à l'heure actuelle, on parle de lutter contre l'anti-sémitisme sans un seul  mot sur l'"islamo-phobie". Curieuse façon de promouvoir la laïcité ...

- les "intermèdes" précédents et suivants étaient occupés par le groupe des "Bernadettes" que je ne connaissais pas mais que j'ai trouvé très vulgaire. Bizarre quand-même aux côtés de la LICRA.

Bref, une belle et grande soirée Stratégies  avec de belles pub  bien créatives mais ... un petit goût curieux dans la bouche  quand-même ...

LES SPONSORS FINISSENT PAR POLLUER CANNES ET LE CINÉMA !!!

Trop, c'est trop !  Pour ceux qui voulaient suivre le Festival de Cannes à la télé, le tapis rouge était nettement plus rempli de mannequins, de robes et de bijoux que ... de gens de cinéma ! Les unes après les autres, toutes les égéries des sponsors se déployaient dans tous les sens. J'aime beaucoup Jane Fonda et Ines de la Fressange  et elles ont beaucoup de charme mais.... de là à en faire les vedettes de la montée des marches, ça finit par être trop !

Il y avait déjà L'Oreal, Chopard plus quelques autres grands joailliers et il a fallu, en plus cette année, comme par hasard,... que Kering entre  dans la danse. Je sais bien que la culture a besoin de finances mais à condition que l'on ne dépasse pas les limites !

Dans un autre genre , c'est le contraire :  un grand coup de chapeau au nouvel Hôtel de Caumont à Aix en Provence : pour son inauguration, ce nouveau "centre d'art"  formidablement réussi ,présente notamment une excellente expo Canaletto. Et là , si j'ai bien compris, tout , à la fois restauration et fonctionnement, a été financé par un "entrepreneur culturel" , Culturespaces", mais avec un goût infini et, surtout, une grande discrétion. D'accord, la peinture n'est pas aussi glamour que le cinéma. Mais on voit là que l'on peut "réussir" sans tout ce déballage de Cannes....

DANS LES MAGAZINES, LES POLITIQUES NE FONT PLUS VENDRE ET LES "MARRONNIERS" VIEILLISSENT !

Très intéressante analyse faite par Le Monde des "unes"   sur un an des cinq principaux news magazines et de leurs effets sur les ventes au numéro....

Ce que j'en retiens surtout :

- les unes avec des hommes politiques font moins vendre qu'avant ; c'est bien le reflet du désenchantement des Français par rapport à l'action publique,

- de plus en plus de sujets "froids" depuis "les médicaments qui guérissent" jusqu'aux "derniers jours d'Hitler; cela représente désormais un bon 20% des couvertures, 30% même pour L'Express,

- les sujets "magazine" sont nettement plus présents : santé, psychologie, burn-out, grand portrait d'artiste ou d'intellectuel, philosophie même...

- les bons vieux "marronniers" s'essoufflent et certains disparaissent ou se font plus rares ( les francs-maçons par exemple !); L'Express n'a gardé que l'immobilier deux fois par an et le classement des hôpitaux...

Bref, c'est normal, chacun cherche son nouveau souffle ; les magazines eux-mêmes ont à faire face à la montée des enquêtes d'investigation en ligne ( type Mediapart) ou dans les quotidiens qui essayent de plus en plus de "sortir" des affaires. Pour un magazine généraliste, la clef reste bien la recherche permanente du "bon sujet" et du "bon angle"...

RAMZI KHIROUN ET L'USAGE DU DROIT DE REPONSE....

L'Observateur a publié, il y a peu, un portrait/enquête assez fouillé de Ramzi Khiroun....; vous savez, le grand communicant qui tire bien des ficelles du groupe Lagardère après l'avoir fait avec DSK ( l'homme "à la Porsche" !) et avoir oeuvré chez Havas dans l'équipe de Stéphane Fouks...

Et voilà Mr Kiroun, sans doute mécontent du portrait, qui écrit au magazine pour faire rectifier certaines erreurs. C'est son droit ! De fait, les 4/5 erreurs relevées sont du genre adresse où logeaient ses parents à Sarcelles ou date à laquelle il a rencontré pour la première fois Jean Veil, l'avocat de DSK...

On voit bien la stratégie : relever des erreurs multiples pour, d'une certaine façon, discréditer le papier et ... le portrait avec ! Il reste que la ficelle est un peu grosse.... L'usage du droit de réponse , comme je l'explique à mes étudiants de master à Censier, est d'un maniement ... délicat !

Dans ce cas précis, on finirait par douter de la qualité de communicant de Ramzi Kiroun....

LES COMMUNICANTS SONT-ILS LES RESPONSABLES DES "DERAPAGES" ... ?

 Dans le dernier numéro de Paris Match, la journaliste Elise Lucet ( son émission "Cash investigation" réunit en moyenne 3 millions de téléspectateurs !) déclare avec  force : "depuis dix ans, les communicants ont pris le pouvoir absolument partout ! Les journalistes doivent faire attention".

Certes ! Mais cela semble à l'ancien journaliste  puis communicant que je suis ... un peu court car :

1- les "communicants" dont elle parle  n'ont jamais eu vraiment le pouvoir ;  c'est d'abord leur boss qui le détient,

2- les "communicants", en l'occurence, ne font  rien d'autre que leur métier et ne font que s'adapter aux besoins et modes de travail des media et nouveaux media  eux-mêmes; c'est nettement exagéré de leur mettre sur le dos les dérapages de plus en plus nombreux...

3- oui, les journalistes doivent "faire attention" comme elle le dit et doivent être formés en conséquence. C'est  l'accélération de la concurrence et  le rythme de plus en plus en temps réel des media qui finissent par créer problème. On l'a bien vu au moment de l'attentat Charlie Hebdo ou, ensuite, l'annonce erronée par l'AFP de la mort de Martin Bouygues...

Alors ? Du boulot  dans les rédactions ( à condition que les patrons de media le leur permettent !) et lors de la formation des futurs journalistes !

LA PUB QUI SE VEUT (OU NE SE VEUT PAS ....?) "INTRUSIVE"....

Curieuse coïncidence dans le dernier numéro de Stratégies mais bon reflet des interrogations ( ou des hypocrisies ?) en cours sur la fameuse "native " advertising... :

D'abord, pages 12 et 13, Yannick Bolloré, président d'Havas, après de belles tirades sur l'innovation et les data, conclut solennellement son interview : " Il faut bien différencier ce qui relève d'une part de la responsabilité éditoriale du média et d'autre part de la publicité. Il ne faut en aucun cas tenter de manipuler le consommateur ,si-non il se détournera des contenus de brand content"... Bravo ! Sauf, déjà, que j'ai assisté à des réunions  où ses propres équipes essayaient de convaincre leur annonceur de l'intérêt de "négocier" un partenariat avec un quotidien gratuit en échange de 4 pages rédactionnelles sur le sujet qui est le sien et ce qu'il offre....

Et puis, quelques pages plus loin (p. 36 et 37), un très intéressant papier d'Amaury de Rochegonde titré " Les nouvelles frontières des webrédacs"... et consacré aux grands fournisseurs de "contenus " ( Melty Group, , CCM Benchmark, Reworld Media etc). Leurs responsables nous y expliquent que la logique traditionnelle du journalisme est totalement inversée : au lieu de rechercher la bonne info,  les fameux "data" et algorithmes permettent de savoir en temps réel  à quoi s'intéressent les internautes et donc de "fournir" de l'info sur ces sujets là en liaison étroite évidemment avec les annonceurs...On n'est plus "journaliste" ( pas question d'ailleurs d'en avoir la carte !) mais "responsable de chaîne" avec la maîtrise simultanée du "contenu" et de la "régie" : le rédacteur devient "éditeur" avec toute la responsabilité financière qui l'accompagne....: il s'agit de fait de "monétiser l'audience"....

Certes,  ce n'est pas complètement nouveau . Comme dit le PDG de Webedia, "les frontières sont poreuses quand on traite de la mode ou du people avec Pure trend ou Pure People. Comme dans tous les féminins"...Sauf que cette "porosité" gagne peu à peu tous les secteurs... et devient la règle de travail !

Heureusement, il nous reste les beaux discours à la française sur le pluralisme de l'information, la liberté d'expression etc etc....

LA PRESSE ECRITE FAIT SA MUE !

Tout le monde se souvient de la crise pas si ancienne à Libération quand un nouveau patron a proposé de faire évoluer le groupe vers un ensemble beaucoup plus diversifié : le titre papier et ses suppléments évidemment mais des conférences et débats, un lieu d'accueil/restaurant etc etc. Les équipes du journal ont alors crié au scandale....

Et pourtant, et pourtant, c'est bien ce qu'une bonne part de la presse écrite "généraliste" est en train de faire... Regardez bien les quotidiens ou hebdos que vous lisez : au fil des  pages, Le Monde vous vante ses nouvelles collections de livres ( les oeuvres complètes de Shakespeare  en quelques dizaines de volumes en ce moment);  L'Express vous propose des croisières où vous pourrez rencontrer Christophe Barbier, Christine Kerdellant ou d'autres ; Paris Match s'est mis aussi aux croisières ; tel autre propose un grand colloque style Davos français en juin à La Baule pendant 3 ou 4 jours  ; les féminins foncent vers la vente directe en cliquant sur leurs pages ou leurs sites ( il est vrai que Elle par exemple a sa boutique depuis longtemps) etc etc.

Bref, comme cela était proposé aux équipes de Libé ( qui l'ont à l'époque refusé bruyamment !), le "journal" est de plus en plus le "porte-drapeau" et l'instrument promotionnel de plein d'autres choses sans même parler des éditions internet où chacun cherche encore son modèle !

Et si, après tout, c'est cela qui nous permet de conserver une presse "papier" de qualité, pourquoi s'en plaindre ?