Je connais Daniel Bouton et j'ai mené une mission pour lui il y a quelques années. C'est, à ma connaissance, un homme de grande valeur, d'une honnêteté absolue , l'un des plus grands dirigeants de banque et je l'admire énormément. Et je trouve bien, normal et sain qu'il ait instantanément proposé sa démission à son conseil d'Administration...
En revanche, je trouve que le vrai scandale est que ce Conseil l'ait refusée !, le tout avec la bénédiction du Présidentde l'Autorité des Marchés Financiers et du Gouverneur de la Banque de France. Et cela me semble bien caractéristique du "mal français". Non pas que Daniel Bouton soit directement responsable de tout cela mais :
1- en tant que manager suprême, il est responsable de la nature des systèmes de contrôle; qu'un collaborateur puisse engager la banque pour 50 milliards même s'il est un génie de l'informatique pose quand-même problème,
2- la SG est l'un des spécialistes mondiaux des "produits dérivés"; ce n'est pas l'effet du hasard mais d'un choix stratégique avec tous ses risques... Quand cela tourne mal, il faut assumer !
3- tout cela aboutit à faire oublier les quelque 2 milliards perdus sur les sub-primes ; or, cela seul, déjà, à la taille de la Générale, aurait du poser problème pour le Président (cf les démissions aux US ou en GB),
4- les deux, additionnés, font aujourd'hui de la SG une société Opéable; c'est clairement une responsabilité de Président,
etc
Or, les grands dirigeants et Madame Parisot passent leur temps, ces temps ci, à expliquer à l'opinion que le niveau élevé de leurs rémunérations, stocks options et parachutes se justifient par le risque personnel qu'ils prennent ! OK mais... quand le risque arrive....Que le Conseil ait considéré que Bouton était le plus qualifié techniquement pour gérer la crise, probablement. Mais, c'est quand-même dur à avaler ! J'ai connu des temps où un fameux président de grande banque française se faisait débarquer par son Conseil parce qu'il avait lancé une OPA (qu'il a perdue) sans prévenir ce Conseil et cela n'avait de loin pas couté des sommes pareilles ! Peut-être, aujourd'hui, un certain nombre des membres du Conseil songeaient-ils à leur propre fauteuil en pareil cas...; le fameux "je te tiens, tu me tiens par la barbichette"...
Alors... foin de rapports Attali aux 300 mesures ! Foin de grands discours sur "la France manque de grosses PME et de belles gazelles ; comment en susciter plus ?" etc etc.
Comment les Français (petits actionnaires, salariés, jeunes etc) peuvent-ils vraiment aimer les entreprises et leur faire confiance si Bouton ou un autre reste à son poste en pareille situation , queles que soient ses qualités personnelles ? Cela réveille instantanément la réaction du genre "une fois de plus, ils font leur cuisine entre eux" ! Comment peut-on "libérer" le pays du poids accru, croissant et "paralysant" de ses "réseaux" ? C'est cela, pour moi, la vraie question. Et c'est pour cela que la non démission de Daniel Bouton est un "signe" fort lancé à l'opinion et un choix grave et symboliquement catastrophique pour l'avenir du pays. Et voilà un cas où, s'il voulait être cohérent et cru dans sa volonté de réformer la France, le Président de la République aurait du publiquement exiger cette démission.
Le Président l'a fait et il a eu raison. Certes, il ne peut l'imposer au Conseil d'Administration d'une société privée qui, par principe, va "provisoirement au moins" confirmer son choix. Mais je pense sincérement que ceux qui ont , sur ce cas au moins, critiqué les propos du Président, se trompent de combat pour l'avenir de l'économie de marché !
Rédigé par : philippe Heymann | 30 janvier 2008 à 17:39