Le weblog de Philippe Heymann

COMMENT RECRÉDIBILISER LA PAROLE PUBLIQUE...ET CELLE DES ENTREPRISES ?

L'Association Communication Publique tenait vendredi son assemblée générale annuelle et, comme chaque année, y avait organisé un remarquable débat.

L'intervention de Jean-Claude Casanova, président de la Fondation des sciences politiques, était particulièrement passionnante...malgré son "pessimisme". Parmi les propos  retenus "à ma manière" :

+ partout, et pas seulement chez nous, le degré de confiance vis à vis de toutes les institutions décroit,

+ les causes principales :

     • des causes de "société" : le vieillissement (on a donc plus d'expérience pour "décoder"), les progrès de l'éducation (idem), le développement des liens sociaux de tous types ( > plus d'esprit critique), l'usure des systèmes démocratiques, la violence politique,

     • des causes tenant aux "élites" : lorsque les élites ne font pas confiance aux autres,ces "autres" le perçoivent et le leur rendent ,

    • les exigences non respectées : conflits d'intérêts, cumuls de mandats ou de fonctions, "affaires" etc

Pour lui, on peut aussi ajouter que la proximité accroît la méfiance et  qu'une certaine forme de transparence sème le doute... Et plus les individus sont dépendants les uns des autres (ce qui est le cas de nos sociétés modernes) , plus la méfiance s'accroit...

En contre-poids, fort heureusement, Eric Zajdermann, l'un des meilleurs communicants sur les sujets publics( Il s'est occupé notamment de la Sécurité routière pendant plein d'années), est venu donner des exemples de communication publique de terrain réussie et "crédible" avec le cas de la gratuité des transports publics à Aubagne. Une belle leçon de com. ... qui dépasse la com. habituelle en se préoccupant des valeurs...

Car les orateurs se sont accordés à reconnaître que, du côté des entreprises, on constate le même phénomène. Et , pour y répondre, certaines passent de la communication sur le produit à la communication sur les valeurs... Mais cela, c'est vrai, n'est possible que si c'est incarné par tous à commencer par les plus hauts dirigeants de l'entreprise !

Bref, une séance passionnante !

 

LA FRANCE DECOUVRE LE "FACT-CHECKING"....

Intéressant mais mais très surprenant  article  de Delphine Masson dans la dernière livraison de Stratégies sous le titre "A l'épreuve du fact-checking"...En bref, la presse, les communicants et les "responsables" français, à la faveur d'une campagne présidentielle très "chiffrée" , découvrent que faits et chiffres  méritent d'être vérifiés et que les media ne doivent pas se limiter à retransmettre tels quels les propos et déclarations qui leurs sont délivrés" ...!!!

Il est vrai que, pour beaucoup, c'est une "découverte" mais...  les bras m'en tombent ! Certes, les journalistes économiques ont toujours été plus soucieux de cela que les journalistes politiques. Et, à l'époque où j'étais journaliste, ce sont largement mes collègues allemands , britanniques et américains qui m'ont inculqué cette pratique. Le modèle  était même le Reader's Digest où des équipes de vérificateurs contrôlaient le moindre mot de chaque article à publier...

 Bien  plus que les politiques, les entreprises (en particulier celles qui sont cotées en Bourse) ne peuvent se permettre de lancer des chiffres et des faits  inexacts. Mais beaucoup sont celles qui, logiquement,  présentent plutôt le bon côté des choses sans trop communiquer sur le reste ; je pense au "green-washing", aux méthodes de management, aux échecs, au climat interne etc. etc.

Dans le même article , deux  communicants  très bons professionnels  s'inquiètent de ce "fact-checking" ; pour eux, cela risque de rendre  la communication "lisse", "formatée", "sans spontanéité"...Réaction compréhensible. Mais préfèrent-ils des propos inexacts et/ou tronqués  ? Et le rôle des communicants n'est-il pas justement de préparer des argumentaires à la fois convaincants, percutants et éxacts ; ou alors faut-il poursuivre sur le chemin des fameux "éléments de langage", très à la mode actuellement, qui aboutissent à des propos simplificateurs, souvent provocants ,  et ... servilement répercutés ?

Si la campagne actuelle aboutit  à mettre le "fact checking" en pratique chez nous, elle aura déjà servi à quelque chose !

QUAND LE DIGITAL BASCULE VERS LES AGENCES D'ACHAT D'ESPACE ...

J'ai déjà abordé ce sujet mais ... le mouvement se confirme : les  agences d'achat d'espace cherchent de plus en plus à "grignoter" les prestations web.

Cette semaine, annonce  plus que symbolique, le groupe Publicis a annoncé que sa filiale Digitas déménageait pour aller s'installer dans le même immeuble que son "village Vivaki" où se trouvent déjà Zenith Optimedia, Starcom etc et où se retrouveront toutes les agences " Digital pure players" du groupe. Et il ne s'agit pas là d'une simple bonne gestion des locaux ; le choix est totalement stratégique...

Certes, le web prend une place croissante et Maurice Levy y multiplie les avancées. De plus, la rémunération des centrales d'achat est nettement supérieure quand elles préconisent du web ( 6,8 ou 10%) plutôt que du media classique (2,5 à 3% !); il est vrai que leur travail se fait plus en dentelles et sur de petits montants.Il reste que, lorsqu'elles fournissent des "prestations"  qui auraient pu être du ressort d'agences spécialisées ( des bannières, des jeux, des appli etc), elles peuvent se rémunérer en supplément au prix de journée... Je vois aussi qu'un certain nombre de prestations "éditoriales" se mettent à basculer  dans ce sens au travers de "partenariats media" qui, moyennant pub, fournissent du contenu à l'annonceur. Et, sur des budgets de plusieurs millions d'achat d'espace, les 30, 40 ou 100 000 euros de tout cela  passent presque inaperçus...

A ce stade, je n'ai guère d'avis sur les aspects positifs, négatifs ou neutres de cette tendance. Mais il est clair que l'irruption digitale crée une agitation dans tous les sens qui va incontestablement bouleverser à terme des positions .... Dans l'intervalle, cela risque d'être ... la foire d'empoigne !

ATTENTION AUX AVATARS SUR LE WEB !

Très passionnante réunion vendredi de Communication publique autour de Daniel Kaplan, délégué général de la Fondation pour l'Internet Nouvelle Génération (FING) sur le thème "le numérique et les stratégies de communication publique".  L'exposé , remarquablement riche, était "off" ; je ne peux donc reprendre ses propos. Je peux cependant  résumer à ma façon quelques idées qui m'ont particulièrement frappées :

- le web est un flux permanent où ce qui compte ce sont les personnes qui y sont et  y échangent : c'est bien parce que certains y entrent par des usages "futiles" (type les différents jeux ou autres sur les chats !) que, ensuite, il peut y avoir la place Tahir....

- on va de plus en plus se mettre à  "cartographier" (des cartographies "thématiques") les usages et les usagers,

- les "espaces de confiance"  où l'on s'échange des infos "entre pairs"  (P2P) en dehors de l'intervention des marques, des annonceurs, des institutions joueront un rôle croissant ,

- l'ouverture des données publiques devrait amener les institutions concernées à prendre l'initiative de présenter elles-mêmes des synthèses et "traductions" de ces données ; si non, ... cela se fera ailleurs !

- les entreprises ou institutions qui utilisent des "avatars" ou des faux nez pour se mêler des forums divers  sont assez vite "découvertes"; car les internautes savent  les décoder et  les repérer... Certaines entreprises (cf Microsoft) commencent à autoriser leurs  collaborateurs (des développeurs par exemple) à parler  directement et ouvertement  de ce qu'ils font (avec quelque limite quand-même !) car  ils sont au bout du compte les porte-parole les plus crédibles  "entre confrères" !

ARNAUD, RIBOUD, PROGLIO, DANONE, L'OREAL, ESSILOR ETC ET LA BONNE ET MOINS BONNE REPUTATION DES ENTREPRISES ET DE LEURS DIRIGEANTS...

L'Observatoire de la réputation, qu'anime Jean-Pierre Piotet, publie ses résultats sur la bonne et ... moins bonne réputation des entreprises du CAC 40 et de leurs dirigeants. Et certains de ces résultats m'étonnent un peu ... même si je les comprends ! Il est vrai que je ne trouve nulle part (mais j'ai peut-être mal cherché) le nombre de personnes qui ont "voté" et leur typologie...J'ajoute que je ne connais personnellement aucun de ces dirigeants (sauf un) !

Que Danone et Franck Riboud soient très bien classés, je comprends.  Que France Telecom ou la Société générale continuent à payer les problèmes antérieurs aussi ;   qu'Henri Proglio ou Arnaud Lagardère arrivent en queue de liste également ; qu'Essilor et Xavier Fontanet soient hauts dans la liste, je comprends également.

Mais que Bernard Arnault arrive en tête des dirigeants quand on connaît un peu la "dureté" de son management ; ou que L'Oréal soit si bien classée quand on sait  un tant soit peu ce qui se passe à l'intérieur du groupe et la nature même du management interne et des relations.... 

Au fond, ces résultats, pour Arnault d'un côté, pour L'Oréal de l'autre ,  sont probablement le reflet d'une communication intense mais  très "glamour" : l'image et la réussite de LVMH  ( et les belles photos de Bernard Arnault avec son épouse pianiste) tirent, à juste titre, vers le haut  l'image de la "personne" Arnault ; et le remarquable sponsoring cannois et son image de "champion du marketing" tirent celle de l'Oréal,  montrant notamment que la firme n'a pas été éclaboussée par l'affaire Bettencourt/ Bannier et le sponsoring des expositions du photographe ! A noter aussi que, dans les deux cas, ce sont des groupes qui consacrent un pourcentage particulièrement élevé du prix de vente de leurs produits à la pub et à la  com....

Tout cela  devrait finalement plaider  plutôt en faveur de la com. ... ; mais  je sens quand-même un petit clignotant orange s'allumer dans un coin de ma tête !

FRANCK LEPAGE ET SON ADMIRABLE "LANGUE DE BOIS"...

Si vous voulez vous distraire quelques minutes, allez donc regarder l'une des vidéos de Franck Lepage et notamment celle intitulée "La langue de bois"... Elle résume à merveille le vocabulaire largement répandu dans la communication institutionnelle et devrait faire réfléchir tous ceux qui écrivent communiqués de presse, brochures, rapports annuels, avis financiers,  discours de dirigeants etc. etc.

Vous la trouverez sur scopeplave en cliquant sur "la langue de bois" ou bien sur Dailymotion en recherchant Franck Lepage...

LE BARON SEILLIERE EST ..."THE ARTIST" DE LA COMMUNICATION !

Le baron Seillière ( Enarque, héritier de Wendel et ancien président du CNPF/MEDEF) est vraiment "the artist" de la communication : quand il donne une interview, les réponses sont "fortes" et  tout à fait en phase avec la réalité et les préoccupations actuelles  des Français !

Quelques extraits de son interview dans Les Echos d'hier, recueillie par Dominique Seux, à propos de la taxation à 75% des hauts revenus :

> " le jour même du triomphe de Jean Dujardin aux Oscars, cet acteur , dont toute la France peut être fière, apprend que son talent va être taxé à 75% si "The Artist" a le succès qu'il mérite... ". Sur la page juste en face, le quotidien publie un graphique relatif au taux moyen de prélèvement fiscal sur les plus hauts revenus ; résultat : le taux  le plus élevé pour les 0,1% les plus aisés atteint ... 20,5%.

> un peu plus loin: "de toute façon, pour quelqu'un qui est au SMIC, tous ces chiffres n'ont aucun sens"...

> et encore : "j'ai gagné de l'argent en trente ans alors que je n'en avais pas quand j'ai pris la charge de Wendel...". 

Et que l'on ne vienne pas me dire que ces citations sont ... sorties de leur contexte !